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Lecture en cours : Race et histoire de Claude Levi Strauss Messages : 6033 Date d'inscription : 19/10/2011 Age : 25
Sujet: Les mots • Jean-Paul Sartre Dim 12 Fév - 20:47
Les mots - Jean-Paul Sartre • 5.95€
Résumé du livre
"Le lecteur a compris que je déteste mon enfance et tout ce qui en survit." Loin de l'autobiographie conventionnelle qui avec nostalgie ferait l'éloge des belles années perdues, il s'agit ici pour Sartre d'enterrer son enfance au son d'un requiem acerbe et grinçant. Au-delà de ce regard aigu et distant qu'il porte sur ses souvenirs et qui constitue la trame de l'ouvrage et non pas son propos, l'auteur s'en prend à l'écrivain qui germe en lui. Pêle-mêle, il rabroue et piétine les illusions d'une vocation littéraire, le mythe de l'écrivain, la sacralisation de la littérature dans un procès dont il est à la fois juge et partie. Ainsi, "l'écrivain engagé" dénonce ce risible sacerdoce, cette religion absurde héritée d'un autre siècle. Du crépuscule à l'aube, un travailleur en chambre avait lutté pour écrire une page immortelle qui nous valait ce sursis d'un jour. Je prendrais la relève : moi aussi, je retiendrais l'espèce au bord du gouffre par mon offrande mystique, par mon oeuvre. On ne peut s'empêcher de sourire devant tant d'ironie, et l'on sent l'auteur s'y amuse aussi lorsque, avec cette langue parfaite et cette brillante érudition, il joue les pasticheurs. --Lenaïc Gravis et Jocelyn Blériot
Extrait
Sur les terrasses du Luxembourg, des enfants jouaient, je m'approchais d'eux, ils me frôlaient sans me voir, je les regardais avec des yeux de pauvre: comme ils étaient forts et rapides! comme ils étaient beaux! Devant ces héros de chair et d'os, je perdais mon intelligence prodigieuse, mon savoir universel, ma musculature athlétique, mon adresse spadassine; je m'accotais à un arbre, j'attendais. Sur un mot du chef de la bande, brutalement jeté: « Avance, Pardaillan, c'est toi qui feras le prisonnier », j'aurais abandonné mes privilèges. Même un rôle muet m'eût comblé; j'aurais accepté dans l'enthousiasme de faire un blessé sur une civière, un mort. L'occasion ne m'en fut pas donnée: j'avais rencontré mes vrais juges, mes contemporains, mes pairs, et leur indifférence me condamnait. Je n'en revenais pas de me découvrir par eux: ni merveille ni méduse, un gringalet qui n'intéressait personne. Ma mère cachait mal son indignation: cette grande et belle femme s'arrangeait fort bien de ma courte taille, elle n'y voyait rien que de naturel: les Schweitzer sont grands et les Sartre petits, je tenais de mon père, voilà tout. Elle aimait que je fusse, à huit ans, resté portatif et d'un maniement aisé: mon format réduit passait à ses yeux pour un premier âge prolongé. Mais, voyant que nul ne m'invitait à jouer, elle poussait l'amour jusqu'à deviner que je risquais de me prendre pour un nain — ce que je ne suis pas tout à fait — et d'en souffrir. Pour me sauver du désespoir elle feignait l'impatience: « Qu'est-ce que tu attends, gros benêt? Demande-leur s'ils veulent jouer avec toi. » Je secouais la tête: j'aurais accepté les besognes les plus basses» je mettais mon orgueil à ne pas les solliciter. Elle désignait des dames qui tricotaient sur des fauteuils de fer: « Veux-tu que je parle à leurs mamans? » Je la suppliais de n'en rien faire; elle prenait ma main, nous repartions, nous allions d'arbre en arbre et de groupe en groupe, toujours implorants, toujours exclus. Au crépuscule, je retrouvais mon perchoir, les hauts lieux où soufflait l'esprit, mes songes: je me vengeais de mes déconvenues par six mots d'enfant et le massacre de cent reîtres.
Citations
« Quand beaucoup d’hommes sont ensemble, il faut les séparer par des rites, ou bien ils se massacrent. »
« Plus absurde est la vie, moins supportable est la mort. »
« Que l'humanité vienne à disparaître, elle tuera ses morts pour de bon. »
« Il n'y a pas de bons pères, c'est la règle. Qu'on n'en tienne pas rigueur aux hommes, mais au lien de paternité qui est pourri. »