Extrait Il se tut et ferma les yeux. Au bout d'un moment, il reprit : - Je viens de faire mon compte, et je ne parviens pas à amener le total jusqu'au 24 octobre. Ce devrait être le 21. Nous avons dû atteindre le Gué le 20. - Vous avez parlé et calculé beaucoup trop dans l'état où vus êtes, dit Gandalf. Comment vont votre côté et votre épaule ? - Je ne sais pas, répondit Frodon. Je ne les sens pas du tout : ce qui est un progrès, mais (il fit un effort) je puis bouger de nouveau un peu le bras. Oui, il reprend vite. Il n'est pas froid, ajouta-t-il, tâtant sa main gauche avec la droite. - Bon ! dit Gandalf. Elle se remet rapidement. Vous ne tarderez pas à être tout à fait rétabli. Elrond vous a guéri : il vous a soigné plusieurs jours durant, depuis le moment où on vous a apporté ici. - Des jours ? - Eh bien, quatre nuits et trios jours, pour être précis. Les Elfes vous ont apporté du Gué dans la nuit du 20, et c'est là que vous avez perdu votre compte. Nous avons été terriblement inquiets, et Sam n'a guère quitté votre chevet, jour et nuit, sauf pour transmettre des messages. Elrond est maître en l'art de guérir, mais les armes de notre Ennemi sont meurtrières. A vrai dire, j'avais très peu d'espoir ; car je soupçonnais qu'il restait un fragment de la lame dans la blessure fermée. Mais on n'a pu le trouver qu'hier soir. Elrond a alors extrait un éclat. Celui-ci était profondément enfoncé, et il s'avançait toujours plus loin. Frodon frissonna au souvenir du cruel poignard à la lame encochée qui avait disparu entre les mains de Grands-Pas. - Ne vous tourmentez pas ! dit Gandalf. Elle est partie à présent. Elle a été fondue. Et il semble que les Hobbits sont peu empressés à disparaître. J'ai connu de forts guerriers parmi les Grandes Gens dont cet éclat serait rapidement venu à bout, alors que vous l'avez porté en vous pendant dix-sept jours. - Que m'auraient-ils fait ? demanda Frodon. Qu'est-ce que les Cavaliers Noirs essayaient de faire ? - Ils ont tenté de vous percer le cœur d'un poignard de Morgul, qui demeure dans la blessure. S'ils avaient réussi, vous seriez devenu comme eux, mais en restant plus faible et en leur étant soumis. Vous seriez devenu un spectre sous la domination du Seigneur Ténébreux ; et il vous aurait tourmenté pour avoir tenté de garder son Anneau, pour autant qu'il puisse y avoir tourment plus grand que d'être volé et de voir l'Anneau à son doigt. - Dieu merci, je ne m'étais pas rendu compte de cet horrible danger ! dit Frodon d'une voix faible. J'avais mortellement peur, bien sûr ; mais si j'en avais su davantage, je n'aurais pas même osé bouger. C'est miracle que j'en aie réchappé ! - Oui, la chance ou le destin vous ont aidé, sans parler du courage, dit Gandalf. Car votre cœur n'a pas été touché et seule votre épaule a été percée ; et cela, c'est parce que vous avez résisté jusqu'au bout. Mais cela n'a tenu qu'à un fil, pour ainsi dire. Vous étiez le plus menacé pendant que vous portiez l'Anneau, car alors vous étiez vous-même à demi dans le monde des spectres, et ils auraient pu vous saisir. Vous pouviez les voir, et ils pouvaient vous voir de même. - Je sais, dit Frodon. Leur aspect était terrible ! Mais pourquoi leurs chevaux nous étaient-ils visibles à tous ? - Parce que c'en étaient de vrais ; tout comme les robes noire sont de véritables robes qu'ils portent pour donner une forme à leur néant quand ils ont à faire aux vivants. - Alors, pourquoi ces chevaux noirs supportent-ils de pareils cavaliers ? Tous les autres animaux sont terrifiés à leur approche, même le cheval elfique de Glorfindel. Les chiens hurlent et les oies poussent des cris aigus après eux. - Parce que ces chevaux sont nés et ont été dressés au service du Seigneur Ténébreux en Mordor. Ses serviteurs et ses animaux ne sont pas tous des spectres ! Il y a des orques et des trolls, des ouargues et les loups-garous ; et il y a eu – il y en a encore – de nombreux hommes, guerriers et rois, qui vont et viennent vivants sous le soleil et qui sont pourtant sous son empire. Et leur nombre croît de jour en jour. - Et Fondcombe et les Elfes ? Fondcombe est-il sûr ? - Oui, pour le moment, jusqu'à ce que tout le reste soit conquis. Les Elfes peuvent redouter le Seigneur Ténébreux et fuir devant lui, mais jamais plus ils ne l'écouteront ni ne le serviront. Et ici, à Fondcombe, vivent encore certains de ses principaux ennemis : les Sages-Elfes, seigneurs de l'Eldar d'au-delà des mers les plus lointaines. Ils ne craignent pas les Esprits Servants de l'Anneau, car ceux qui ont demeuré dans le Royaume Béni vivent en même temps dans les deux mondes, et ils ont grand pouvoir tant sur le Visible que sur l'Invisible. - J'ai cru voir une forme blanche qui brillait et ne devenait pas indistincte comme les autres. Etait-ce donc Glorfindel ? - Oui, vous l'avez vu un moment tel qu'il est de l'autre côté : l'un des puissants des Premiers-Nés. C'est un Seigneur elfe, d'une maison princière. En fait, il existe pour quelque temps à Fondcombe un pouvoir de résistance à la puissance de Mordor ; et ailleurs, résident d'autres pouvoirs. Il y en a aussi un d'une autre sorte dans la Comté. Mais tous ces endroits deviendront bientôt îlots assiégés, pour peu que les choses continuent de suivre le cours qu'elles ont pris. Le Seigneur Ténébreux déploie toute sa force. Néanmoins, dit-il, se dressant soudain, le menton en avant, tandis que sa barbe se faisait raide et droite comme du fil de fer hérissé, nous devons conserver tout notre courage – vous serez bientôt rétabli si je ne vous tue pas de paroles. Vous êtes à Fondcombe, et vous n'avez à vous préoccuper de rien pour le moment. - Je n'ai pas de courage à conserver, dit Frodon, mais je ne suis pas tourmenté à présent. Donnez-moi simplement des nouvelles de mes amis et racontez-moi la fin de l'affaire du Gué, comme je ne cesse de vous le demander, et je serai satisfait pour l'instant. | Citations" Trois anneaux pour les Rois Elfes sous le ciel, Sept pour les Seigneurs Nains dans leurs demeures de pierre, Neuf pour les Hommes Mortels destinés au trépas, Un pour le Seigneur des Ténèbres sur son sombre trône Dans le Pays de Mordor où s'étendent les Ombres. Un anneau pour les gouverner tous, Un anneau pour les trouver, Un anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier Au pays de Mordor où s'étendent les Ombres. " |